Une offensive sans précédent contre un géant du numérique
Dans un mouvement juridique inédit, plus de 200 acteurs du paysage médiatique français – dont TF1, France Télévisions, Radio France, Le Figaro, Libération ou encore Dailymotion – viennent de déposer une assignation en justice contre Meta. L’entreprise américaine, maison-mère de Facebook et Instagram, est accusée de recourir à des pratiques illégales de ciblage publicitaire, mettant en cause une collecte massive et non consentie de données personnelles.
C’est devant le tribunal des activités économiques de Paris que cette procédure a été engagée, représentée par les cabinets Darrois Villey Maillot Brochier et Scott+Scott, spécialisés dans les contentieux économiques internationaux.
Le cœur de l'accusation : une atteinte au RGPD et à la libre concurrence
Au centre de cette assignation, deux accusations majeures sont formulées :
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Violation du RGPD : Meta aurait collecté des données personnelles sans information claire ni consentement explicite de ses utilisateurs.
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Distorsion du marché publicitaire : L’exploitation de ces données aurait permis à Meta de capter une part écrasante des revenus publicitaires numériques, au détriment des médias traditionnels.
"Meta a construit une hégémonie publicitaire sur une base illégale", résument les avocats des plaignants.
"Cette position dominante est en grande partie le fruit d'une utilisation abusive des données personnelles".
Tableau – Poids des acteurs dans le marché publicitaire numérique en France (estimation 2024)
Acteur | Part de marché | Croissance annuelle estimée |
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Meta (Facebook/Instagram) | 45 % | +11 % |
Google (Search, YouTube) | 30 % | +9 % |
Médias traditionnels | 15 % | -2 % |
Autres plateformes | 10 % | +3 % |
Source : Cabinet Darrois, chiffres 2024
L’impact économique sur les médias traditionnels
La publicité représente la principale source de revenus pour la majorité des médias, en particulier ceux qui offrent des contenus gratuits ou freemium. Or, 98 % du chiffre d’affaires mondial de Meta repose justement sur la publicité, dont une grande partie repose sur des données hyper-ciblées.
Selon les plaignants, ce déséquilibre a entraîné :
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une baisse drastique des investissements publicitaires vers les médias locaux et généralistes ;
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une perte de rentabilité et de compétitivité des offres numériques traditionnelles ;
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une fragilisation croissante de l’indépendance de la presse, liée à la dépendance accrue aux plateformes.
Une coalition inédite pour une régulation du numérique
Le front commun des 200 médias marque une étape symbolique et stratégique : jusqu’ici, les médias se contentaient de plaintes individuelles, souvent isolées. Cette fois, la coordination vise à peser collectivement pour rééquilibrer les rapports de force entre les créateurs de contenus journalistiques et les diffuseurs numériques mondiaux.
« C’est un combat pour la survie de la presse, mais aussi pour l’éthique numérique », déclare un représentant de France Télévisions.
« Ce modèle de captation automatique de données, sans dialogue ni transparence, est incompatible avec une société démocratique. »
Meta dans le viseur européen
Cette assignation s’inscrit dans un contexte plus large de régulation des géants du web en Europe. Après l’entrée en vigueur du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA), la Commission européenne surveille de près les pratiques des grandes plateformes, notamment en matière de :
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transparence algorithmique ;
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responsabilité sur les contenus sponsorisés ;
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encadrement du consentement sur les données.
Cette action française pourrait ainsi ouvrir la voie à d’autres initiatives en Europe, notamment en Allemagne, Espagne ou Italie, où des groupes de presse envisagent également des actions coordonnées.
En attente de la réaction de Meta
À l'heure actuelle, Meta n’a pas encore réagi officiellement à cette assignation. Dans les précédentes affaires de ce type, l’entreprise s’est souvent défendue en mettant en avant :
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le respect "formel" du RGPD via les pop-ups de consentement ;
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la liberté de choix des annonceurs ;
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le caractère concurrentiel du marché numérique.
Mais cette fois, l’ampleur de la plainte pourrait contraindre Meta à revoir sa stratégie de défense. Car cette action s’attaque non seulement aux modalités de collecte des données, mais aussi à l’architecture même de son modèle économique.
Conclusion : un tournant dans la guerre publicitaire numérique ?
Cette assignation pourrait bien devenir un cas d’école dans l’histoire des rapports entre les médias et les Big Tech. Elle pose des questions fondamentales sur :
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la juste rémunération des créateurs de contenu ;
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le respect du droit à la vie privée des internautes ;
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la viabilité économique d’un écosystème numérique équitable.
Alors que les audiences migrent de plus en plus vers les plateformes sociales, le combat des médias traditionnels ne se limite plus à une simple bataille de visibilité. Il s'agit désormais de leur survie économique et éthique dans un monde façonné par les algorithmes et les datas.
La suite judiciaire de ce dossier sera suivie de près, car elle pourrait redessiner en profondeur les règles du jeu publicitaire sur Internet pour les années à venir.